On peut lire dans l'article, 1.9 du CETA que « l'eau dans son état naturel (...) ne constitue pas une marchandise ou un produit. » De fait, on pourrait penser qu'elle échappe aux règles de ces accords commerciaux. Or, il est bien possible que ceci n'aille pas de soi...
Ceci
n'est pas sans rappeler la directive cadre européenne de 2000 qui
affirme que l'eau n'est pas une marchandise « comme les autres ».
En précisant « comme les autres », on sous-entend qu'elle est
quand même une marchandise. Et cela peut ouvrir la porte à
interprétation future.
Ici,
il en est de même, en précisant « dans son état naturel », on
ouvre la porte à de nombreuses interprétations. Si par exemple, on
pompe de l'eau qui ne correspond pas aux critères de potabilité et
qu'on la transforme ensuite pour la rendre potable, est-ce qu'elle
est encore dans son état naturel ?
Il
en est de même pour l'assainissement : l'eau n'est plus dans son
état naturel. Cela relève-t-il du marché ?
Ou
dès lors que l'on extraie l'eau de son environnement naturel, pour
en faire usage dans certaines activités (irrigation agricole,
industrie, production d'énergie... ), est-ce qu'elle est encore
considérée comme étant dans «son état naturel» et de ce fait
est-ce qu'elle est toujours exclue de cet accord?
Par
l'ajout de cette nuance, l'eau pourrait donc être considérée comme
un bien et un produit, et donc être soumise aux règles du CETA.
Pour
éviter ça, on pourrait faire simple dans la rédaction des
directives et traités ou accords. On pourrait écrire :
-
L'eau, bien commun de l'humanité, elle n'est pas un bien marchand.
Ou
à l'instar de l'Assemblée Générale de l'ONU en juillet 2010
-
L'accès à une eau de qualité et à des installations sanitaires
est un droit humain fondamental.
La
Commission Européenne pourrait exclure définitivement
l'approvisionnement de l'eau, l'assainissement et l'élimination des
eaux usées des règlements sur les marchés internes et de tout
accord commercial, tout simplement. On n'en parlerait plus et on
saurait sur quel pied danser.
Mais
ce n'est pas le cas. Et si à chaque fois des nuances sont apportées,
ce n'est pas sans raison.
C'est
parce des multinationales (transnationales) et leurs lobbys œuvrent
en sous-main pour une marchandisation de l'eau et qu'une certaine
idéologie règne au sein des commissions européennes.
Les
entreprises, on les comprend, elles se ménagent des marchés
potentiels. Leur seul objectif est la recherche de profits, pas de
préserver le bien commun. Mais la Commission Européenne, comment
comprendre tant de réticences à exclure l'eau de tout marché et un
tel empressement à la faire entrer dans les règles du marché dès
que l'occasion se présente ?
Parce
que régulièrement, la Commission Européenne tente d'introduire les
mécanismes du marché dans la politique de l'eau. L'idée que les
droits de l'eau devraient devenir commercialisables, au nom de
l'efficacité économique, n'est jamais perdue de vue.
On
le voit avec la Grèce qui a dû privatiser ses services publics de
l'eau. Le responsable du bureau de la Grèce pour la Commission des
Affaires Economiques et Financières, expliquait que ça réduisait
la dette publique, permettrait d'augmenter «l'efficacité des
entreprises et, par extension, la compétitivité de l'économie dans
son ensemble, tout en attirant les investissements directs
internationaux». Avec une telle vision, on ne doit pas être en
capacité de comprendre ce qu'est une régie publique de l'eau!
Et
dans notre accord CETA, nous sommes justement dans le cadre de la
protection des investissements évoqués par ce haut-responsable.
Dans
le CETA, l'Union Européenne se dit prête à un élargissement du
champ d'application des services et des concessions de service. Ça
ne concerne pas l'eau.
Mais
ça ne concerne pas l'eau tant que qu'il existe une exclusion pour
l'approvisionnement en eau dans la directive européenne sur les
Concessions de 2013, exclusion gagnée notamment par la mobilisation
des citoyens et collectivités allemandes, exclusion dont la
pertinence doit être revue en avril 2019.
Donc,
si la Commission revient sur l'exclusion de la directive Concession
en avril 2019 qu'en sera-t-il pour l'eau dans le CETA ?
On
peut vraiment craindre une entrée dans l'élargissement du champ
d'application des services et concessions de service si la seule
vision des commissions européennes n'est basée que sur cette vision
«marchandisable» de l'eau.
Le
CETA nous pose d'autres questions sur de nombreux points.
Les
pesticides et le principe de précaution, par exemple. Actuellement,
nous payons fort cher la dépollution de l'eau et notamment le
retrait des pesticides. Les conséquences sur la santé peuvent être
énormes. Par ailleurs, on sait qu'il coûte moins cher pour la
collectivité de ne pas polluer que de devoir dépolluer. Si son
acceptation débouche en plus sur une révision de la liste des
pesticides autorisés, et sachant que le principe de précaution
n'existe pas dans le CETA, qu'en sera-t-il dès lors que l'on voudra
remettre en question l'usage et la liste des pesticides autorisés ?
Nous
devons être assurés que le principe de précaution sera pris en
compte par le CETA ! Dans la perspective d'une protection des
ressources en eau, le renforcement du principe de précaution comme
principe directeur pour l'avenir est d'une importance capitale.
Autre
point : la possibilité pour une Régie publique de travailler avec
d'autres régies sur plusieurs communes sur un mode coopératif et de
mutualisation sera-t-elle encore possible dès lors que certains
considéreront ces espaces comme un marché soumis à la concurrence
et donc au mode compétitif ?
Les
règles du CETA n'entraveront-elles pas le travail en commun à
effectuer pour la dépollution des eaux de surface, la
sanctuarisation des champs «captants» ?
Ou
encore, imaginez que nous voulions récupérer et réutiliser des
substances présentes dans les eaux usées pour les valoriser en
énergie dans le cadre d'une politique d'auto-suffisance. Est-ce que
cela tombera dans le cadre du CETA ? Cette possibilité n'a pas été
envisagée dans le CETA. Mais comme ça ne fait pas partie de la
Liste Négative (ne sont exclus de l'accord que ce qui est listé
aujourd'hui, tout le reste de cette liste non révisable est
commerce) et que ça ne concerne pas l'eau dans son état naturel,
devrions-nous nous en priver ou ouvrir cette activité au marché et
aux investisseurs étrangers ?
D'autres
points encore concernent directement l'eau, mais il est difficile
d'en faire le tour dans un document de deux milliers de page rédigées
en langage juridique. L'utilisation commerciale d'une source d'eau
particulière ou les droits d'eau par exemple.
Ça
concerne le droit de capter, de dévier, d'utiliser l'eau ou les
permis de prélèvement d'eau. Actuellement, il est du ressort des
États membres d'accorder un droit de prélèvement d'eau selon
différents critères, non commerciaux.
Mais
si les droits d'eau sont commercialisables et peuvent donc se
transformer en «investissement » à protéger, la réglementation
régissant ce commerce reviendrait au CETA. Cela pourrait avoir un
impact très lourd sur l'agriculture et sur de nombreuses industries
en Europe. Dans ces conditions, il est difficile de voir l'article
1.9 autrement que comme un outil supplémentaire en faveur d'une
marchandisation accrue de l'eau.
Les
raisons de s'interroger sur cet accord sont nombreuses. Par exemple
sera-t-il possible de revenir en Régie public de l'eau, ici à Lille
au terme d'une gestion impliquant une multinationale ? ou encore
sera-t-il possible de mettre en place les premiers m3 gratuits
correspondant aux besoins vitaux ?
Le
CETA dans sa forme actuelle ou sous la forme qu'il pourrait prendre
plus tard pourrait concernait l'eau contrairement à ce qu'on nous
dit. Son exclusion n'étant pas assurée.
Il
est grand temps que l'Union Européenne reconnaisse l'eau comme un
bien commun et comme un droit fondamental universel, un élément
essentiel pour tous les êtres vivants. La privatisation et la
marchandisation doivent être tenues à l'écart de ce bien vital, sa
gestion doit être publique et collective, fondée sur la
participation démocratique des citoyens et des travailleurs.
Sources:
European
water movement (http://europeanwater.org/fr/)et
Food and waterEurope,
http://europeanwater.org/fr/ressources/rapports-et-publications/673-le-ceta-et-l-eau-un-guide-destine-aux-militants
https://stoptafta.wordpress.com/2016/08/08/comment-lapprovisionnement-en-eau-serait-affecte-en-allemagne-par-ceta-ttip-tisa/
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