mardi 23 mai 2017

Les PME, TPE et l'emploi

Certains se saisissent des problèmes que les PME-TPE rencontrent pour expliquer qu’il faut alléger les charges et les règles. A les écouter, rien ne serait plus possible et il faudrait aller vers une remise en question des normes de notre société, rendant encore plus fragile le contrat social et écologique qui nous lie tous. Mais faut-il aborder le problème sous cet angle-là ? Qu’est-ce qui, aujourd’hui, fait obstacle et pourquoi ce ressenti d’étranglement ?



En tout premier lieu, il faut évoquer la diversité des PME-TPE, celles à forte plus-value, celles à faible plus-value, celles à petit nombre de salariés, celles à grand nombre, celles dont le marché est local, celles qui exportent, etc… et constater la réalité différente des taxes et impôts qu’elles assument. Avoir un discours général à partir d’un cas n’aide donc pas à une approche appropriée aux différentes problématiques rencontrées.

Ensuite, il faut constater qu’en 2016, 83% des créations d’emplois ont été réalisées par les PME TPE, même si elles souvent victimes d’une certaine forme de précarité liée à l’inconstance des contrats et aux variations des rentrées d’argent dans la durée, illustrée par la fermeture de nombreuses entreprises, souvent jeunes ou n’ayant pas su s’adapter.

Malgré cette vitalité, l’incertitude liée aux variations du marché, aux prises de risque, rend difficile pour le chef d’entreprise ou le collectif dirigeant (conseils d’administration, consultatifs, assemblées générales de scop, …) de se projeter sereinement dans l’avenir, d’autant plus que l’accès au financement bancaire est souvent très compliqué.

De ce fait, l’embauche reste difficile et certains pensent qu’il faudrait aller encore plus loin et légiférer pour changer les statuts et contrats des salariés. Le salarié est décrit comme un profiteur (faisant généralité d’un cas particulier) et les prudhommes comme un obstacle – et que dire de l’Inspection du travail ! -. Pour eux, le salarié serait trop protégé et il faudrait encore plus de flexibilité pour permettre d’épouser avec plus de pertinence les variations d’activité et de revenus des entreprises. La survie des entreprises en dépendrait.

Pourtant de nombreux dispositifs en faveur de la création d’emplois ont été édictés récemment. Et le recul doit permettre de se rendre compte que ces dispositifs ne viennent pas vraiment épauler les PME-TPE ou SCOP et n’avantagent que les grands groupes ! Pour ne citer qu’un exemple : le CICE (Crédit Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi) qui représente 40 milliards d’euros par an à destination des entreprises : selon le rapport officiel de France Stratégie, peu d’impact sur la recherche et le développement, ni à l’exportation, ni sur l’emploi (un flou autour de 50 à 100 000 emplois créés ou préservés – où est le million d’emplois promis ?) ou les salaires… ni pour les consommateurs. En effet, en échange du CICE, rien n’est demandé. Le législateur espère seulement que mécaniquement des effets se feront sentir sur la création d’emplois. Il est à craindre que l’argent du CICE soit allé ailleurs, peut-être du côté de la poche des actionnaires, mais le rapport officiel ne s’aventure pas à décrire cet aspect-là. Certains disent que la prise de bénéfice est à hauteur de la moitié de la somme – financée par les contribuables, rappelons-le.

Mais un autre acteur de l’économie joue également un rôle dans les difficultés des PME-TPE ou SCOP : les grandes multinationales qui s’arrangent pour aspirer tout l’argent public et en redistribuer la plus grande partie aux actionnaires. Il d’ailleurs est intéressant de souligner que ces grands groupes se libèrent des règles imposées aux PME : alors qu’une PME payerait en moyenne 26 à 30% d’impôt, les entreprises du CAC 40 ne contribueraient en moyenne qu’à hauteur de 8%.

Pour sa part, et à titre d’exemple, Apple ne paye que 0,005% d’impôt sur le territoire européen ! Explication : ces dernières années, du fait de la libre circulation des capitaux, les riches particuliers et multinationales, avec la complicité des banques et des cabinets de conseils, profitent d’avantages de juridictions complaisantes dans d’autres pays. Ce sont ainsi 60 à 80 milliards d’euros évacués à l’étranger (1000 milliards à l’échelle de l’Union Européenne), retirés du pot commun, faisant reposer le coût des dépenses publiques sur l’ensemble de la population et notamment sur les PME-TPE. Cette somme équivaut au déficit public ! Et si on y ajoute les 90 milliards de niches fiscales, on peut se rendre compte des sommes colossales qui pourraient être investies dans l’économie réelle.

Ces mêmes entreprises licencient également alors qu’elles font des bénéfices, elles délocalisent l’activité. Au-delà du drame humain que cela représente et les conséquences sur les sous-traitants ou l’activité d’une ville, cela représente un coût pour la collectivité que tous nous devons supporter. TPE PME également. On peut se rendre compte que ce sont des moyens financiers très mal utilisés.

Dans un autre registre, il faut souligner le rôle joué par ces mêmes multinationales dans l’élaboration de certaines lois qui amènent à des aberrations telles que les Partenariat Public Privé, bombes à retardement, cachant l’endettement de la collectivité, gouffre à argent public, et évinçant petites et moyennes entreprises. Dans ce cadre, les coûts surestimés de location et d’entretien au profit de la multinationale captent de fortes sommes d’argent diminuant d’autant les possibilités d’autres commandes publiques quand ils ne conduisent pas à une faillite de la collectivité. Il faut également souligner les effets qu’auront ces grands traités de commerce (CETA, TAFTA…) taillés sur mesure pour les multinationales, au détriment des collectivités territoriales, et placeront les PME-TPE ou SCOP en concurrence directe avec des entreprises étrangères, états-uniennes, et quand les normes au rabais et au moindre coût seront la règle. Qu’adviendra-t-il quand ces multinationales qui sous-traitent déjà à l’étranger sans s’embarrasser de soucis social, écologique ou de solidarité territoriale pourront le faire en toute quiétude ici ?

Le refus de ces Traités commerciaux doit aller de pair avec le refus de la loi El Khomri qui organise le dumping social au sein d’une même branche. Il ne faut pas rentrer dans cette logique du moindre coût et de mise en concurrence des salariés, et des peuples dans le cas des traités commerciaux. Cela n’apportera que désolation ici et là-bas. Une logique contraire à ces traités peut se développer dans la notion de protectionnisme solidaire. Cette logique protège les PME-TPE ou SCOP.

Au-delà de ces problématiques, on peut évoquer d’autres points qui intéressent directement les entreprises :

-          La retraite à 60 ans par exemple : beaucoup d’entreprises cherchent à licencier les plus de 55 ans. La maintenir c’est lutter contre le chômage des seniors et favoriser l’emploi des jeunes.

-          La lutte contre l’euro fort qui favorise l’économie de rente, et gêne à l’exportation.

-          Un autre mode de consommation et de production impliquant réseaux courts, retour des commerces en centre-ville, écoresponsabilité, certifications de qualités ou d’absences de produits polluants ou dangereux, garantie de non-exploitation des enfants…

Pour finir, il faut souligner qu’une autre approche concernant la vitalité des PME-TPE réside dans le refus des politiques d’austérité. Elles frappent de plein fouet les clients potentiels et les collectivités territoriales qui peuvent par la commande publique relancer l’activité !

On peut parler également d’une autre façon de voir : coopération, mutualisation des moyens (par exemple autour des questions administratives) plutôt que compétition. Un fonds de solidarité interentreprise pourrait être créé pour mutualiser la contribution sociale entre toutes les entreprises, grandes et petites, pour assurer la solidarité entre donneurs d’ordre et sous-traitants.

En conclusion, il faut mobiliser autrement l’argent pour financer l’économie réelle : les petites et moyennes entreprises et la création d’emplois et non les multinationales et les actionnaires.

-          Imaginons seulement que les 40 milliards du CICE soient investis dans la transition écologique de notre pays et constatons la somme d’opportunités ainsi offertes aux PME-TPE permettant autant d’emplois !

-          Imaginons seulement la création d’un pôle public bancaire qui prêterait à bas taux aux PME TPE SCOP sur critères sociaux et écologiques : quelle aide efficace, au service de ces entreprises et de l’emploi pourrait en sortir ! Il en découlerait plus de soutien et moins de fermetures.

-          Imaginons seulement une politique agricole qui permette aux acteurs d’une agriculture paysanne de vivre pleinement de leur métier et au besoin en assurant leurs débouchés par la commande publique (exemple, produits bio et en circuit court dans les cantines comme pourrait l’être l’activité sur le site des Muchaux à Lambersart).

-          Imaginons une politique de relance des PME-TPE et SCOP par la commande publique, par exemple par la création de 200 000 logements sociaux par an en renforçant la loi SRU ;

Cela suppose de prendre des mesures courageuses revenant sur les phénomènes décrits précédemment, en organisant par exemple une « Cop fiscale » visant à lutter contre l’évasion et la fraude fiscale et une harmonisation de la fiscalité des entreprises dans les pays d’Europe. Ce qui doit être proposé aux entreprises, ce ne doit pas être d’amoindrir le droit des travailleurs, ni leur enlever les moyens de défense (Conseils prudhommaux) mais au contraire de se donner les moyens de maintenir le contrat social qui nous permet d’envisager l’avenir en commun sans laisser quiconque sur le chemin.  Concomitamment, la protection des salariés doit être assurée sur le long terme par une loi pour sécuriser l’emploi et la formation…

Faire vivre une entreprise ne doit pas être une fin en soi qui, pour ce faire, viserait à supprimer tout ce qui gêne, normes, règles ou contrats, mais au contraire de rentrer dans une logique où chaque salarié doit être considéré et pouvoir prendre part en conscience au devenir de celle-ci. Le regard doit porter plus loin. L’entreprise, la coopérative ouvrière, comme le service public doivent être acteurs de la vie et de l’emploi sur un territoire. En s’appuyant sur les grands défis écologique et social, les PME TPE SCOP etc. peuvent entrer dans une autre perspective. Des économistes ont chiffré à au moins un million d’emplois possibles dans la lutte pour le climat. Les perspectives sont là, n’hésitons plus !

Ce que nous proposons aux PME – TPE ou au SCOP au service de l’emploi sourd de l’ensemble de nos propositions. Celles-ci proposent des perspectives potentiellement fructueuses. Alors, pourquoi vouloir revenir sur le droit du travail ?  A contrario, nous pensons que les salariés doivent être davantage impliqués dans les prises de décisions au sein de chaque entreprise.

Le modèle économique actuel que nous suivons depuis de nombreuses années et que nous voulons poursuivre, coûte que coûte, fait la preuve quotidiennement de son inefficacité : le nombre de chômeurs, précaires, exclus explose, le pouvoir d’achat se réduit, nos biens communs dont les services publics sont mis à mal, alors que les richesses se concentrent dans les mains de quelques-uns, huit milliardaires américains possèdent le moitié du patrimoine mondial et la fortune des assujetti-e-s à l’ISF a doublé en 5 ans.

Nous sommes en situation d’urgence sociale et écologique, situation qui a été générée par les politiques actuellement en œuvre. Ne conviendrait-il pas de sortir de cette pensée unique pour entrer dans une autre logique apte à répondre aux grands défis qui s’ouvrent devant nous, favorisant une économie répondant aux besoins de tous ?

Pierre-Yves Pira


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